« 30 % des cabinets d’avocats risquent de fermer boutique »

Avocats

Lundi 17 février, les avocats des barreaux d’Albi, Castres, Foix, Montauban, Saint- Gaudens et Toulouse, se sont retrouvés dans la Ville rose pour manifester leur hostilité au projet de réforme des retraites.

Alors que débute le débat parlementaire sur la réforme des retraites, les avocats sont plus que jamais hostiles à leur intégration dans le régime universel. Explications de Me Manuel Furet, bâtonnier de l’ordre des avocats de Toulouse.

Opposés à la réforme des retraites, les avocats ont entamé leur septième semaine de grève totale des audiences. Lundi 17 février, le jour où débutait à l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi, à l’appel des barreaux d’Albi, Castres, Foix, Montauban, Saint-Gaudens et Toulouse, les robes noires ont manifesté une nouvelle fois devant le palais de justice de Toulouse pour marquer leur hostilité à l’égard de cette réforme qui selon eux, en faisant disparaître leur régime autonome, va entraîner un doublement de leurs cotisations et une diminution de leurs pensions.

Les avocats maintiennent leur mobilisation. Les discussions entre la profession et le gouvernement n’ont donc abouti à rien?

C’est pire que cela. D’une part parce que le texte et l’ensemble des amendements n’ont pas pu être étudiés par la commission des lois. On repart donc à zéro avec cette discussion qui débute devant l’Assemblée nationale. Ensuite, nous restons sur notre position de départ, à savoir la conservation de notre caisse autonome, le refus du doublement des cotisations et la réduction corrélative de nos pensions.

Aucun progrès n’a donc été fait, au fil des différentes rencontres avec la garde des Sceaux et le gouvernement ?

Des propositions ont été faites qui ne tiennent pas du tout compte des revendications que l’on porte et de l’impact financier qu’aura cette réforme sur l’intégralité de notre profession, et notamment sur 30 % de nos barreaux respectifs qui perçoivent un revenu bien inférieur au revenu moyen. Le doublement des cotisations entraînerait de facto la disparition de ces cabinets. L’ensemble des bâtonniers s’est rendu à l’Assemblée nationale la semaine dernière, pour rencontrer des groupes parlementaires, nos députés, pour expliquer que la proposition qui nous est faite aujourd’hui, à savoir un abattement de 30 % sur l’assiette des cotisations sociales, abattement inscrit dans la loi, n’était pas suffisante, parce que cela ne permet pas d’absorber le doublement de la cotisation. Et aussi parce qu’il est inscrit dans la loi, ce qui fait qu’à la prochaine réforme législative, cela peut disparaître tout aussi rapidement que cela a été voté aujourd’hui.

Vos revendications visent à défendre toute la profession ou une partie seulement, la plus fragile ?

Elle concerne toute la profession d’avocat. Vous avez 70 000 avocats en France qui sont en grève. 164 barreaux sur 164 ont voté la grève, une grève dure puisqu’elle concerne aussi le contentieux des libertés. Les revendications portent sur la totalité de la réforme. Mais bien évidemment, elle concerne plus spécifiquement les avocats qui font partie du premier pass (plafond annuel de la sécurité sociale, NDLR), c’est-à-dire ceux dont les revenus sont inférieurs à 40 000 €, pour lesquels l’impact financier du doublement des cotisations est le plus significatif. Ces cabinets risquent de fermer boutique.

Ce qui représente quelle proportion de la profession ?

Ce sont 50 % des avocats qui perçoivent un revenu inférieur à 40 000 €. Mais pour 30 % de la profession, ceux qui ont les revenus les plus faibles, qui interviennent généralement dans la défense assistée, au titre de l’aide juridictionnelle, en cas de doublement de la cotisation retraite (de 14 % à 28 %, NDLR), ils ne pourront plus absorber leurs charges et donc poursuivre cette défense solidaire.

Vous craignez des incidences sur l’accès au droit…

À partir du moment où ils ne pourront plus régler leurs charges, les avocats ne prendront plus ce type de dossier à l’aide juridictionnelle ou ne pourront plus les assumer et donc disparaîtront. Cela impacte donc naturellement l’accès au droit. Les justiciables les plus démunis ne pourront plus bénéficier de l’assistance d’un avocat dans ce cadre-là.

Cette menace pèse-t-elle unique- ment sur les jeunes avocats ?

Cela concerne en majorité les jeunes avocats, puisque lorsqu’on rentre dans la profession, on intervient beaucoup sur ces contentieux-là. Mais ils ne sont pas les seuls impactés. Tous les avocats sont susceptibles d’intervenir au titre de l’aide juridictionnelle du début à la fin de leur carrière. Une personne qui n’a pas de revenu a droit à une défense au titre de l’aide juridictionnelle, donc n’importe quel avocat peut prendre un dossier à l’aide juridictionnelle.

Que proposez-vous ?

Depuis plus de 70 ans, date à laquelle on nous a refusé notre intégration dans le régime général, nous avons créé une caisse autonome qui fonctionne bien. Elle est excédentaire et solidaire à l’égard de consœurs et confrères qui justement n’arrivent pas à cotiser suffisamment parce qu’ils travaillent au titre de l’aide juridictionnelle, leur permettant de bénéficier d’une pension de base de 1 400 € (NDLR, elle devrait passer à 1000 € dans le cadre de la réforme). Nous avons du reste anticipé l’évolution de notre démographie avec la constitution de réserves jusqu’en 2054 pour le régime de base et jusqu’en 2080 pour le régime complémentaire. On a donc un système qui fonctionne bien, qui est autonome, qui tient compte de nos populations. Pourquoi le supprimer et le remplacer par un système qui n’est pas du tout adapté aux indépendants et aux libéraux ?

Le procureur général et le premier président de la cour d’appel de Toulouse ont dans un communiqué diffusé le 11 février pointé votre mouvement de grève, estimant qu’il « entraîne des conséquences sans précédent d’une particulière gravité sur les délais de traitement des affaires entraînant un préjudice majeur pour les justiciables ». Que leur répondez- vous ?

Que notre mouvement ait un impact sur le fonctionnement de la justice sur les six semaines qui se sont déroulées, nous en sommes conscients. Pour autant, c’est faire abstraction de 10 ans ou 20 ans de difficultés, de budgets de la justice qui se sont réduits comme peau de chagrin au point qu’ils ne permettent pas aux magistrats ni aux greffiers de remplir correctement leurs missions. À la cour, nous avons des dossiers que nous devons préparer en six mois, trois mois pour l’appelant, trois mois pour l’intimé. Au terme des six mois, cela signifie que le dossier est prêt et pourrait être plaidé. Mais de fait, l’audience est fixée à 18 voire 24 mois, dans des délais extrêmement longs. Alors, que la cour nous dise qu’il y a un peu de retard parce qu’il y a eu six semaines de grève, c’est faire abstraction des retards qui existent depuis de nombreuses années. C’est pour cela que nous invitons les magistrats et les greffiers à rejoindre ce mouvement qui dépasse la simple mobilisation des avocats.

Les réformes intervenues en matière de procédure civile n’ont pas amélioré la situation ?

Le décret Magendie, qui nous a imposé de tenir des délais, n’a pas réellement atteint ses objectifs dans la mesure où les délais ne peuvent pas être tenus faute de personnels, de magistrats, des moyens qui permettent normalement que les réformes mises en place fonctionnent correctement. À l’image de celles intervenues l’an dernier : nous avons interrogé la chancellerie sur les moyens mis en place pour accompagner ces réformes. On nous a annoncé un financement de 500 M€. Sauf qu’ils serviront surtout à construire des prisons, et ne bénéficieront pas aux juridictions et à leurs personnels.

Vous faites aujourd’hui la grève de toutes les audiences ?

Oui, y compris du contentieux des libertés. Avec toutefois une nuance : lorsque les reports ne sont pas accordés, nous faisons une grève du zèle. Nous plaidons alors collectivement les dossiers, avec des résultats d’ailleurs très positifs, preuve que trois cerveaux fonctionnent mieux qu’un ! Et nous sommes présents parce que, bien évidemment, on ne lâche pas les justiciables, contrairement à ce qui est relayé par le gouvernement et les pouvoirs publics.

Comment cette grève est-elle perçue par vos clients ?

Nous leur expliquons que si, aujourd’hui, on décale dans le temps le traitement de leur dossier, c’est pour que l’on puisse continuer à traiter leur dossier dans le futur et pour qu’il y ait encore une justice en France, avec la présence d’avocats qui interviendront au titre de l’aide juridictionnelle. Et ils le comprennent, même si de temps en temps, cela justifie des discussions. D’autant qu’une partie de nos clients sont eux-mêmes opposés à la réforme. Cela donne lieu à des échanges intéressants.

Quels sont vos moyens d’action alors que la discussion semble bloquée ?

Nous continuons à nous mobiliser, à nous présenter devant les tribunaux en envisageant des reports ou des grèves du zèle. Nous rencontrons également les élus qui vont se prononcer sur le texte ou l’amender. Il va également y avoir des élections municipales : nous rappelons que nous sommes aussi des électeurs, que nous avons des familles d’électeurs, des clients électeurs… Nous allons relayer le message que ceux qui, en principe, portent les projets de demain n’entendent pas la société civile.

Quelles sont les prochaines échéances ?

Nous poursuivons notre mobilisation. Sur le plan local, nous rencontrons les élus et ensuite au niveau national, le Conseil national des barreaux, notre instance représentative, poursuit son travail (amendements, rencontres avec les parlementaires, etc …). Mais les derniers échanges avec le gouvernement n’ont pas été satisfaisants. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que la perte de notre caisse de retraite et de son mode de fonctionnement, signera la perte de notre indépendance.