2020 : un bon cru

Les notaires ont dévoilé les chiffres d’activité de l’année 2020. Un bilan marqué, malgré la crise sanitaire et économique, par une envolée des prix et un léger repli du volume des ventes. Tandis que la pierre reste, sans conteste, une valeur refuge, une bulle spéculative se dessine-t-elle à l’horizon ?

«Surprenant, spectaculaire » : ce sont les mots prononcés par Philippe Pailhès, vice- président de la chambre interdépartementale des notaires pour décrire l’évolution du marché de l’immobilier en Haute-Garonne de l’année écoulée. Tandis que de nombreux secteurs ont été fortement touchés par les effets de la crise économique et sanitaire, ce marché, lui, résiste. Mieux, la crise aurait changé la donne. « L’immobilier ne connaît toujours pas la crise de la Covid. Les volumes de l’année restent remarquables, et arrivent en seconde position en dix ans, après une année 2019 qui s’est déjà révélée spectaculaire », souligne Philippe Pailhès aux côtés de Frédéric Giral, notaire à Caraman et délégué de l’institut notarial de Droit immobilier, à l’occasion d’une conférence de presse tenue le 16 mars pour tirer le bilan de 2020.

BILAN POSITIF

De fait, les professionnels ne s’attendaient pas à un bilan aussi positif. Au total, 31 100 biens se sont écoulés en 2020, dans le département, soit le deuxième meilleur score de la décennie, après l’année record de 2019. « Nous nous attendions à une baisse drastique, compte tenu des deux confinements. En réalité, le confinement a provoqué des réflexions sur un changement d’habitat et un passage à l’acte accru. S’il est moins prégnant qu’en Ile-de-France, beaucoup de gens ont décidé de changer de cadre de vie avec la pré-dominance du télétravail et de s’éloigner ainsi de la métropole toulousaine pour s’établir dans un rayon d’une trentaine de kilomètres », détaille Philippe Pailhès. Le phénomène, qui se dessinait après le premier confinement, se poursuit de façon inhabituelle notamment depuis février 2021 « un mois généralement creux en termes de ventes », les échanges repartant à la hausse, après une légère baisse constatée en fin d’année.

Cependant, cette dynamique reste à nuancer. Tous biens confondus, le volume des ventes de 2020 accuse un léger repli (-12 % au global), tiré vers le bas par une chute des acquisitions d’appartements neufs de 37 %, soit seulement 4 900 ventes. Les promoteurs ont connu, en effet, un ralentissement de l’offre commerciale due « aux élections municipales qui ont conduit au blocage de nombreux permis » et à la temporisation des projets. Tandis que les ventes dans le neuf ont fléchi, l’ancien, qui demeure toujours en tête depuis une décennie, avec 13 500 ventes effectuées en 2020, ne souffre lui que d’une baisse de 6 %. Les transactions de maisons individuelles ne diminuent, quant à elle, que de 5,3 %, ce qui représente 10 600 acquisitions l’an passé. « Compte tenu de deux mois d’arrêt des visites pendant le premier confinement et en comparaison avec des chiffres très hauts en termes de volume des ventes sur l’année précédente, 2020 reste une année active. Lors de la première période de confinement, nous étions moins optimistes et nous ne pensions pas que le marché serait en capacité de rebondir aussi rapidement ». Force est de constater que malgré une année marquée par la crise, les acquéreurs se sont bousculés aux portes des agences avec une forte volonté de se tourner vers la pierre. Un phénomène qui se déploie dans toutes les métropoles françaises, à l’exception notable de Paris.

FLAMBÉE DES PRIX

Encore plus spectaculaire : la flambée des prix tant sur le marché du neuf que celui de l’ancien dans le département qui est synonyme de dynamisme. Sur l’ensemble de l’année, ils ont bondi de 5,4 % pour les appartements anciens, le prix médian du mètre carré s’établissant à 2 640 € contre près de 2 500 € en province. La Haute-Garonne devance ainsi de loin les départements voisins, l’Occitanie enregistrant de fortes disparités. Les départements de l’Ariège et du Gers, avoisinent respectivement 1 250 €/m2 et 1 270 €/m2, « un prix moyen abordable ».

Par ailleurs, Toulouse qui concentre 80 % des transactions de la Haute-Garonne – autant dire que si la métropole s’enrhume, c’est tout le département qui souffre – se classe comme l’an passé, dans le top 10 des communes de plus de 150 000 habitants s’agissant des prix les plus élevés des appartements anciens, arrivant ainsi à la 7e place derrière Lyon, Bordeaux et Nice qui constituent le podium. La ville de Saint-Étienne est, quant à elle, reléguée, au dernier rang. « Le ranking national n’a pour ainsi dire pas évolué par rapport à 2019. Cela signifie que toutes ces villes sont concernées par la hausse des prix de l’ancien et que Toulouse n’est pas une exception », relève Philippe Pailhès.

La Ville rose affiche une forte inflation des prix sur l’ensemble des préfectures voisines du département, avec une valeur médiane dépassant, à elle seule, pour la première fois, le seuil symbolique des 3 000 €/m2, soit une évolution des prix en un an de 9,2%, « un phénomène de surprise ». « La seule chose qui nous fait encore dire que Toulouse reste plus abordable que la plupart des autres grandes villes, c’est le niveau des taux d’intérêt, qui a été divisé par trois en dix ans », explique le vice-président de la chambre interdépartementale des notaires. C’est cependant à Albi que revient l’évolution des prix la plus marquante avec 11, 1 %, affichant néanmoins un prix médian de 1900€, soit presque un tiers de moins. La préfecture de Montauban montre, elle aussi, une évolution des prix de 9,1 % (1 520 €/m2) ainsi que la ville de Carcassonne (9,7 %), particulièrement prisée par les investisseurs avec un prix qui, pour l’heure, ne dépasse pas la barre des 1 000 € /m2.

La ville de Nougaro prend d’autant plus des airs de grande dame avec une majorité des quartiers qui tendent à la hausse – excepté les Arènes et la Roseraie –, dont 26 quartiers dépassent les 3000 €/m2, avec en tête de liste, Saint- Étienne, le Capitole, les Carmes et Saint-Georges où les étiquettes flambent jusqu’à 5 000 €/m2. Ces derniers, particulièrement cotés, connaissent respectivement une hausse des prix de 16,1 %, 8,9 % et 9,3 % – la rareté de certains logements déterminant une telle inflation–, ce qui confirme ainsi le caractère « atypique » de cette année 2020. C’est le quartier Guilhemery qui remporte, également, la palme avec une hausse de 17,4 %. Les quartiers plus en périphérie ou dits plus populaires suivent également cette tendance, comme en témoigne le quartier des Izards qui connaît une progression des prix de 16,8 % (pour 2 250 € le m2). « Ce sont les trois quarts des quartiers toulousains qui ont connu une augmentation à deux chiffres. Depuis 15 ans, nous n’avions pas connu une telle inflation, ce qui nous oblige à dire que le marché est devenu spéculatif », explique Philippe Pailhès. Lors de la précédente présentation à la presse, le professionnel avait alors indiqué : « Nous sommes sur un marché de réaction, un marché de crise, mais une crise de compensation, pas de déflation. »

Cependant, si Toulouse affiche de belles performances, elle n’est pas la plus cher des villes environnantes. De fait, les communes de L’Union et de Balma ont pris la tête du classement. « Ces communes ont un parc d’habitations plus récent datant des années 90, ce qui explique qu’elles devancent Toulouse dont les constructions datent parfois des années 50 et 60 », soulignent les intervenants. Seule la commune de Castanet-Tolosan affiche une décroissance des prix, « cependant, c’est davantage un marché de villas ». Et cette envolée des prix ne semble pas se ralentir si l’on en croit les chiffres affichés des avant-contrats, qui restent identiques entre octobre 2020 et janvier 2021, grimpant à 2 750/m2.

Le marché des terrains à bâtir, qui est un marché plus sensible selon les professionnels, reste, lui constant avec une hausse du prix médian de 0,4 % sur le territoire haut-garonnais, s’établissant à 85 000 € (prix de vente médian), « car dicté par la rareté des biens ».

Quid du marché des maisons anciennes ? Il profite également du rush. « La maison reste plus un marché d’accédant que d’investisseur, même si les prix augmentent sensiblement, le marché de propriétaire se révèle plus raisonnable », précise Frédéric Giral. Les acquéreurs doivent ainsi débourser en moyenne 250 000 € en Haute-Garonne, soit une hausse de 3,3 % (contrairement au reste de la province où le prix médian stagne à moins de 200 000 €), contre 160 000 € en Tarn-et-Garonne, ou 134 000 € dans l’Aude. La métropole toulousaine reste dans le peloton de tête avec un prix moyen 350 000 €, sans toutefois arriver en haut du palmarès. Les communes de Balma, Ramonville-Saint-Agne, Escalquens et Tournefeuille lui volent la vedette. « Nous constatons par ailleurs des transactions plus fréquentes en 2e et 3e couronne toulousaine parce que le prix des biens reste plus accessible mais également parce qu’avec l’émergence du télétravail, la distance kilométrique n’est plus un frein. Alors qu’il y a quelques années, le marché des maisons individuelles souffrait davantage, les acquéreurs cherchant à se recentrer dans les villes, il se passe désormais le phénomène inverse. C’est certainement ce qui, explique que sur Toulouse intra-muros, le marché de la maison ancienne a été moins attractif. Dans ce contexte sanitaire, c’est réellement sur le choix de la maison, privilégiant des surfaces plus grandes et de l’air, que les changements sont intervenus », ajoute Philippe Pailhès.

VALEUR REFUGE

De fait, si la conjoncture économique plonge les Français dans la morosité, les ménages et les investisseurs ne reculent cependant pas devant les méandres de l’investissement, la pierre restant une valeur refuge. Plus d’un tiers des Français confirment que l’investissement immobilier reste le meilleur moyen de placer une épargne, de développer un patrimoine ou d’assurer un revenu. « Le confinement a provoqué une suractivité très surprenante, confortée d’autant plus par la notion de valeur refuge. Beaucoup de clients, voyant l’écroulement de la Bourse, ont pris peur et ceux qui avaient un peu d’épargne, ont converti leurs placements financiers en investissement immobilier. La pierre ne représente pas un grand danger », explique le vice-président de la chambre interdépartementale des notaires. Quant au portrait-robot des acquéreurs, il évolue légèrement. Les cadres supérieurs représentent désormais moins de 35 % des intervenants sur le marché immobilier. Et tandis que les 30-39 ans, qui captaient 35 % de part de marché, ne représentent plus que 32 % des acquéreurs, ce sont désormais les jeunes de moins de 29 ans qui pèsent davantage sur la balance en 2020 et restent sur le territoire « ce qui est bon signe ». Et ce malgré des banques plus frileuses.

Les Toulousains ne semblent pas craindre un effet boomerang de la crise alors même que tout indique une dégradation du tissu économique. Bien au contraire, « ils prennent le risque de s’endetter sur 10 ou 15 ans en pensant que la crise n’est que passagère ».

Phénomène plus nouveau : la grande majorité des biens vendus en 2020 avaient été achetés il y a moins de cinq ans. « Les acquéreurs gardent moins longtemps et revendent plus vite, ce qui peut entraîner des effets pervers », avance Philippe Pailhès. Signe d’un comportement spéculatif, avec des transactions intrarégionales qui augmentent, les investisseurs étrangers ayant plus ou moins déserté. Selon lui, l’augmentation des prix pourrait ralentir en 2021, mais la baisse, elle, ne pointe pas à l’horizon. Et si le marché immobilier reste en bonne santé, c’est aussi grâce aux taux d’emprunt particulièrement bas qui permettent aux acquéreurs d’investir. « Lorsque ces derniers remonteront avec la reprise économique, la rencontre entre acheteurs et vendeurs sera alors compliquée au vu de la hausse significative des prix », conclut-il.